Jean Valjean serait-il Havrais ?
Introduction : la question posée en titre de cet article ne trouvera pas sa réponse complète dans cette étude. En effet, l’enquête menée dans les archives n’est en réalité pas encore terminée. Toutefois, devant la longueur des recherches et ayant en ma possession des éléments importants, je me lance dans la rédaction de cet article et en profite pour lancer un appel à témoignage à travers celui-ci : qui parmi les lectrices et lecteurs aurait ou a des informations supplémentaires ? Je suis à votre disposition.
L’abbaye de Graville domine la ville du Havre ainsi que son cimetière dans son écrin de verdure. Ce lieu existant avant la création du Havre possède son histoire, ses anecdotes et ses légendes. C’est un lieu que je fréquente dans le cadre de mes activités musicales « Les Prieurales » et toujours avec émotion. Dans une partie du cimetière, se trouvent les sépultures : d’Étienne Xavier Régnault (1766-1847), parfois appelé Régnault de la Montoison, négociant drapier à Paris, résidant au Havre à la fin de sa vie et père de William Régnault. De César, Joseph, Guillaume dit William Régnault (1804-1848), banquier et négociant/armateur, directeur, associé puis propriétaire de la maison de négoce Lefèvre-Régnault. Auteur d’essais politiques, il est l’un des témoins au mariage de Léopoldine Hugo, ayant permis l’union en fournissant un emploi honorable au futur époux Charles Vacquerie. Donc, parmi les rumeurs, je vous invite à aller voir deux pierres tombales anonymes. Dirigez-vous vers le carré Ste Anne du cimetière entourant cette abbaye, vers l’ouest, et le long du mur de soutènement, au soleil couchant, vous les verrez. Si vous tendez bien l’oreille, peut-être vous raconteront-elles que l’une des deux abrite le corps de Guillaume Joseph César Régnault1 et l’autre, son épouse Françoise Céline Duroselle2 (1819-1839), première épouse de William Régnault, décédée à l’âge de 20 ans, en mettant au monde son premier enfant. La famille Duroselle était une puissante famille de Graville impliquée dans l’éclairage au gaz de la ville et dans l’armement pour la chasse à la baleine.
|
|
Cette rumeur vous racontera que ce César Joseph Guillaume Regnault1 aurait inspiré à Victor Hugo, le personnage de Jean Valjean dans son roman « Les Misérables ». Mais que sait-on ?
|
|
Acte de décès de Françoise Céline Duroselle2 |
Acte de décès de César Joseph Guillaume Regnault1 |
Joseph Guillaume Regnault1 arrive au Havre en 1831, à 27 ans, et entre au service de Nicolas Lefèvre4 qui est un riche négociant. Il devient tellement indispensable à ce négociant qu’il épouse une fille de la famille en 1837, Françoise Céline Duroselle2 et devient son associé en 1838.
En 1842, Nicolas Lefèvre4 décède et c’est Guillaume qui prend à ce moment là les rênes de la Maison Lefèvre. Mais où est le lien avec Victor HUGO, me direz-vous ? Pour répondre à cette question, il suffit de se déplacer sur les tombes de la famille Lefèvre pour constater ce que l’histoire et la vie ont retenu, c’est à dire les liens forts entre cette famille Lefèvre et Victor Hugo. Elles sont à deux pas de celles de Guillaume Joseph César Régault1 et Françoise Céline Duroselle2
Cette proximité « éternelle » nous permet d’aller plus loin et d’étudier ce pan de l’histoire familiale des Lefèvre.
Les familles Hugo et Lefèvre sont liées par le mariage, puisque Léopoldine Hugo6 a épousé Charles Vacquerie7, le frère de Marie-Arsène Vacquerie devenue Madame Nicolas Lefèvre. Et que pouvons-nous constater sur l’acte de mariage ? La présence de Guillaume Regnault comme l’un des témoins de Charles Vacquerie7 à son mariage. En effet, ce dernier est un employé de Guillaume Regnault. Les présences communes de Victor Hugo et de Guillaume Regnault à ce mariage sont donc fort probables.
Mais la vie, ce sont aussi des liens d’amitiés. Cette amitié Hugo - Lefèvre se lit avec les épitaphes écrites par le poète à la mémoire des fils jumeaux de Nicolas et Marie-Arsène Lefèvre, morts prématurément en 1839 et 1842 :
« Il vivait, il jouait, riante créature
Que te sert d’avoir pris cet enfant, ô nature
N’as-tu pas les oiseaux peints de mille couleurs
Les astres, les grands bois, le ciel bleu, l’onde amère ?
Que te sert d’avoir pris cet enfant à sa mère
Et de l’avoir caché sous les touffes de fleurs ?
Pour cet enfant de plus, tu n’es pas plus peuplée
Tu n’es pas plus joyeuse, ô nature étoilée
Et le cœur de la mère en proie aux tristes soins
Ce cœur où toute joie engendre une torture
Cet abîme aussi grand que toi-même, ô nature
Est vide et désolé pour cet enfant de moins. »
V. Hugo
Un autre événement douloureux rapporte les liens Hugo - Lefèvre. Celui de la noyade8 de Léopoldine Hugo6 et de son mari dans la Seine en 1843. Étant donné l’absence de Victor Hugo à ce moment là, c’est Madame Lefèvre qui commença les travaux d’inhumation de Léopoldine. Et naturellement, Victor Hugo confia à Ernest Lefèvre, fils aîné de Nicolas et Marie-Arsène la charge d’exécuteur testamentaire.
La rumeur dit également qu’Adèle Fouchet5 dont Victor Hugo vit séparé, aurait fréquenté la famille Regnault. En effet, elle habitait en partie au Havre. Toujours cette rumeur qui raconte que Guillaume Regnault aurait fait des affaires avec Victor Hugo (du vin, semble-t-il) et pas seulement offert l’hospitalité lors de séjours au Havre.
Mais dans tout cela, où est le lien avec Jean Valjean ? Nous y arrivons.
Nous sommes en 1840 ou 1841, et le travail de Guillaume Regnault l’amène à croiser le chemin d’un certain Vallée, tenancier d’un bar un peu louche du Quartier Saint François. Vallée et Regnault auraient été compagnons de bagne. A Rochefort, à Brest ou à Lorient ? La rumeur est cruellement silencieuse à ce sujet et mes recherches à ce jour n’ont rien donné.
Toujours-est-il que commencerait alors un odieux chantage de Vallée sur Regnault. Au début, Guillaume Regnault céderait au chantage. Puis, peut-être à court d’argent ou autre, il arrêterait de payer Vallée. Conséquence, le maître chanteur aurait mis ses menaces à exécution, et les lettres de dénonciation sortent. Petit à petit, elles feraient leurs effets : Guillaume se verrait ainsi écarté de plus en plus des affaires.
Il finit par se suicider le 06 Juillet 1848. Le suicide étant condamné par l’église, la modestie des sépultures pourrait être justifiée.
Est-ce que l’histoire d’un bagnard acquérant la respectabilité et la fortune ne vous dirait pas quelque chose ? Oui ! C’est l’histoire du personnage de Jean Valjean, tiré du roman « Les Misérables » de Victor Hugo. Nous avons tous les ingrédients pour une rumeur.
On peut aussi envisager la mort de Guillaume Regnault en rapport avec les désastres financiers de cette époque difficile, qui vit la ruine de nombreux négociants et une troisième révolution Française.
Je vous livre un autre mystère. Au recensement de 1846 (1 RP 173) du Havre Ville nouvelle, le nom de Caroline Bunout apparaît comme épouse au lieu de Françoise Louise Sophie DUVEAU3.
|
|
Conclusion :
Serait-on en réalité devant un beau roman ? La recherche dans les fichiers des bagnards est toujours en cours, et si des lecteur(rice)s sont intéresséEs et souhaiteraient aider, pas de problème. N’hésitez pas ! Cela permettra de recenser les bagnards Havrais, que cette histoire soit une fable ou non.
Références
1 César Joseph Guillaume REGNAULT , né le 1er février 1804, Paris (12), décédé le 6 juillet 1848, Le Havre (Graville-l'Heure).Marié une première fois le 28 mars 1838, Nancy,54 avec Françoise Louise Céline DUROSELLE2. Marié une deuxième fois le 28 octobre 1844, Nantes avec Françoise Louise Sophie DUVEAU3
2 Françoise Louise Céline DUROSELLE , née le 23 mai 1819, Nancy, décédée le 23 mai 1839, Le Havre (Graville-l'Heure).
3 Françoise Louise Sophie DUVEAU, née le 7 avril 1820, La Trinité, Martinique décédée le 28 juillet 1856, Saint-Sébastien-sur-Loire.
4 Nicolas François LEFEVRE, né le 11/04/1801 à Granville, Manche et décédé au Havre (Graville) le 10/10/1842.
5 Adèle FOUCHER, née le 27/09/1803 à Paris et décédée à Bruxelles le 27/08/1868. Malgré une escapade amoureuse avec Charles-Augustin Sainte Beuve dans les années 1830, elle se consacrera à ses enfants et aux intérêts financiers et littéraires de son mari.
6 Léopoldine HUGO, de son nom complet Léopoldine Cécile Marie Pierre Catherine HUGO, née le 28 août 1824 à Paris et morte noyée le 4 septembre 1843 à Villequier, est la fille aînée de Victor Hugo et d'Adèle Foucher.
7 Charles Vacquerie,né à Nantes le 12 avril 1817 et mort noyé à Villequier le 4 septembre 1843.
8 Un brusque coup de vent fait chavirer le canot en amont de Villequier avec à son bord Léopoldine6 , Charles7 , Pierre Vacquerie (frère de Charles) et le jeune fils de celui-ci, Arthur. Il n’y aura pas de survivantEs et seront toutes et tous inhuméEs dans le même cercueil au cimetière de Villequier.